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portrait

Marc Daniau et Claire Franek : tout nus et tous à poil

La bataille du genredossier
Claire Franek, auteure et illustratrice de «Tous à poil !», livre pour enfants stigmatisé par Copé, est décédée, a-t-on appris ce vendredi. Libération l'avait rencontré en 2014, avec son compagnon, pour un portrait que nous republions.
par Quentin Girard
publié le 19 février 2014 à 17h06
(mis à jour le 11 mars 2016 à 20h50)

Si Jean-François Copé, le président de l’UMP, était un personnage de livre pour enfants, il serait le grand méchant loup. Celui par qui tout arrive, qui fait peur, qui gesticule fort, mais qui, un peu ridicule, finit par faire rire au lieu de faire peur.

A poil Copé. Un dimanche, le chef de l'UMP s'est énervé contre un livre pour la jeunesse, Tous à Poil ! Une histoire de gens, la maîtresse, le bébé, le PDG ou le magicien, qui se déshabillent et qui sautent dans l'eau. Inacceptable, selon Copé, que cet album soit conseillé par le gouvernement - ce qui est d'ailleurs faux. Encore un coup de la méchante théorie du genre ! Branle bas de combat médiatique et deux auteurs, Marc Daniau et Claire Franek, inconnus du grand public, qui se retrouvent à devoir se justifier. Quelques jours plus tard, alors que cela se calme un peu, on les retrouve chez eux. Ils n'en reviennent toujours pas.

A poil les auteurs. Lui 50 ans, tout sec, elle, 47 ans «et demi», plus en formes. Ils se sont mis ensemble en 2003, ont chacun deux enfants, entre 14 et 20 ans. Ils vivent depuis trois ans dans un loft de 90 m2 dans une ancienne maroquinerie, l'usine Hollander, à Choisy-le-Roi. La mairie a récemment racheté le lieu occupé par des artistes et la compagnie de théâtre la Rumeur. Vue imprenable sur la Seine, vert-de-gris en ce jour d'hiver et de pluie. En contre-jour, il y a les barres d'immeubles et le RER C qui fait grincer les rails avant son entrée en gare. Ils aiment leur ville, le mélange des populations et ne voudraient pas habiter dans Paris. Immédiatement, on sent la complicité entre eux. Ils allument leurs cigarettes au même moment. Elle termine ses phrases, il se lève souvent de sa chaise et tourne autour d'elle. Lui vient de Saintes, elle se définit comme «une banlieusarde de souche», tendance rouge, parents professeurs. Dans les années 80, pour ses études, elle passe par l'école Estienne, en illustration, puis apprend la scénographie aux Arts déco avant de partir faire une école de marionnettes à Prague. Elle commence à travailler dans le théâtre mais réalise aussi des dessins de presse, des affiches, des cartes postales. Lui entre à l'académie Charpentier. Il s'intéresse d'abord à la bande dessinée. Il fonde avec un ami un fanzine et l'«Association de démystification des mythes modernes». Au festival d'Angoulême, il est repéré par Etienne Robial, de Futuropolis. Il publie chez lui K.O. d'Amour et commence à traîner avec certains des futurs fondateurs de l'Association, Jean-Christophe Menu et Mattt Konture. Mais il sent bien que la bande dessinée n'est pas son mode d'expression préféré. «Je ne savais pas où mettre les bulles dans un dessin», sourit-il. Enfant, il était dyslexique, il n'entretient pas toujours une relation facile avec les mots.

A poil la littérature jeunesse. Lorsqu'ils ont commencé, dans les années 90, la liberté était totale. «Aujourd'hui, les éditeurs sont peut-être un peu plus frileux», explique Claire Franek. En cause, une pression commerciale plus forte, des sorties plus nombreuses, une durée de vie du livre moins longue. «Avant on imprimait entre 5 000 et 8 000 exemplaires, maintenant cela dépasse rarement 3 000», à savoir le nombre d'exemplaires bientôt écoulés de Tous à poil !. Les rémunérations baissent, cela devient de plus en plus difficile d'en vivre. Ils ont publié chacun une quarantaine d'ouvrages. A deux, ils gagnent environ 50 000 euros par an. Ecrire et dessiner pour la jeunesse les a toujours attirés. «On n'a aucune obligation narrative et, avec les enfants, tout est possible, on peut parler de tout, ils sont vachement libres», s'enthousiasme-t-elle. Ils aiment aussi l'après : les expositions, les rencontres dans les classes et les médiathèques, le partage.

A poil «Tous à Poil» ! Ce livre est leur seule production commune. Pourquoi cette histoire ? Ils ne savent pas trop. Une envie, ça leur trottait dans la tête. Peut-être le fond de l'air aussi. «On ne mettait pas des mots sur l'ambiance, tentent-ils d'expliquer, mais on sentait déjà une régression, une tension.» Chez les politiques, mais aussi dans la société en général. Pendant plusieurs années, Marc Daniau a animé un atelier de dessin de modèle vivant à l'académie Charpentier. «Quand, parfois, les modèles n'étaient pas des canons, je voyais bien que certains n'avaient plus envie de les dessiner», se souvient-il. «Quand le livre est sorti, il ne s'est pas passé grand-chose en France», raconte Claire Franek. «On a eu un accueil super en Belgique, on y a même reçu un prix. Là-bas, ils ne comprennent pas la polémique.» «Dans Tous à Poil ! tout le monde se déshabille, c'est la vie dans sa plus grande banalité», note-t-elle encore. Pour eux, cela n'a rien de malsain, c'est juste joyeux. Ils ne font pas de nudisme l'été. Ce ne sont pas des naturistes militants. «Tous les enfants se demandent comment les gens sont foutus. Plus basique comme thème, on ne peut pas», enchaîne Marc Daniau. «C'est une curiosité naturelle», complète Claire Franek. Ils regrettent un débat «terriblement rétrograde», presque «antirépublicain». «C'est comme s'il n'y avait plus d'histoire, que les gens n'avaient plus de mémoire», tente-t-elle d'analyser. Lorsqu'on les a rencontrés, Copé n'était pas encore passé à la phase 2 de son argumentation. «Chaque page est dédiée à déshabiller une personnalité, une personnalité qui chaque fois incarne l'autorité. Ça veut dire aux enfants : "Ben voilà, l'autorité ça ne vaut rien"», explique désormais le patron de l'UMP. Il estime que cela promeut «la lutte des classes». Dans le fond, l'argument ne choque pas tant que ça les deux auteurs. «Effectivement, on est entré dans une guerre idéologique. Et si dire qu'on est tous des êtres humains, au-delà de la fonction de chacun, si c'est ça promouvoir la lutte des classes, alors, oui», argumente Marc Daniau. «On voit bien le discours sous-jacent, ajoute sa compagne. Il cible tous ces gauchos qui voudraient élever les gamins n'importent comment, ces bandes d'irresponsables qui ne réfléchissent pas et qu'il faut remettre dans le droit chemin.» Mais, eux, ils ne veulent pas se laisser faire. «On assume», lancent-ils en chœur. «Il a cru quoi, Copé, se demande Claire Franek. Qu'on était des Schtroumpfs, qu'on n'avait pas d'avis sur la question et qu'on vivait au pays des champignons ?»

A poil la politique. Ils hésitent un instant, se regardent. «On le dit ou pas ?» «Oui, allez.» «Disons qu'on est à gauche, vraiment», même s'ils ne sont ni militants ni adhérents. A la présidentielle, ils ont voté Mélenchon, puis Hollande. «Contre Sarkozy», comme toujours. Ils sont déçus, forcément. Ils aimeraient que le gouvernement affirme plus fortement ses valeurs. Ils regrettent le retrait récent de la loi famille. Marc Daniau s'agace : «Comme si on devait se justifier en permanence ? Merde, on est français nous aussi, le drapeau bleu blanc rouge, c'est aussi le nôtre.» Il se souvient, gamin, la devise inscrite sur le fronton de son école. «Liberté égalité fraternité, c'est ça mes valeurs et l'un ne va pas sans l'autre.»

Photo Rémy Artiges

En 5 dates

1964 Naissance de Marc Daniau.

1966 Naissance de Claire Franek.

2003 En couple.

Avril 2011 Tous à poil ! (éd. Rouergue).

Février 2014 Polémique lancée par Copé.

Pour aller plus loin :

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