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Résister ?

Howl Arts Collective/Flickr, CC BY

Résister, c’est le mot d’ordre tous azimuts des partis démocratiques contre d’un côté Daech et le terrorisme, de l’autre le Front national. D’un côté un nouvel internationalisme qui offre clé en main une forme au radicalisme d’une jeunesse en perdition, de l’autre, le retour au nationalisme, recette bien connue, d’une originalité fort modeste, dont souvent l’issue fut la guerre mais qui continue visiblement d’attraper le chaland.

Daech ou la victoire de la mort

Les deux options en réalité ne sont pas neuves, et c’en est désespérant de voir l’imagination politique en berne : après le communisme, qui avait au moins le mérite de proposer une utopie sur terre, dont l’homme serait le héros/héraut, c’est l’islamisme qui récupère un modèle transnational qui fait fi des frontières et des nationalités, qui lève des armées, mais dont l’idéal, eh bien… à vrai dire est difficile à cerner : des vierges au paradis ? Le statut de héros, mais de héros mort ? la martyrologie ? Il faut en tout cas aller chercher du côté de la mort et de ses différentes figures : mort à donner aux mécréants, mort à traverser pour les fidèles en gage de leur obédience. La mort, partout, y compris comme promesse, assortie du folklore islamiste dont les fantasmes assez rudimentaires – comme tout fantasmes me direz-vous – jonglent avec la virginité et sa transgression. Bref, une idéologie assez sommaire, mais dont l’intérêt est double : offrir une identité à travers les armes et la violence, mettre au jour la façon dont la modernité traite la mort : en la désincarnant.

Monde binaire : en avoir ou pas, faire peur ou être terrorisé, tuer ou mourir. La symbolique n’est pas passée par là. Car ce qu’ont réussi à faire les islamistes de Daech, qui ne se donnent même pas la peine, pour les idéologues de leurs rangs, de proposer un modèle politique digne de ce nom, c’est de faire de la mort, non pas la fin de la vie, non pas ce qui donne sa valeur à la vie, non pas ce qui, consacrant la finitude de la vie, fait de celle-ci cette chose si précieuse et si précaire à la fois, mais un événement sans importance, qui s’efface en tant qu’événement. On sait que l’une des étapes premières de tout génocide est la réduction de l’autre à une forme animale, les Juifs étaient appelés des poux, les Tutsis des cancrelats, ainsi, les tuer ne relevait plus du meurtre mais de l’éradication. Le vocabulaire a son importance. La déshumanisation des victimes permet de les supprimer plus simplement. Le meurtre devient une formalité. C’est la catégorie de l’altérité qui est en jeu : comme dans toute approche psychotique du réel, l’autre n’existe pas à proprement parler, dès lors, sa mort ne peut signifier la fin d’une vie humaine.

Mais il en va de même pour la mort des bourreaux : certes, l’invention des kamikazes ne leur est pas redevable, et ces jeunes prêts à mourir pour tuer le font pour une cause censée être supérieure à leur propre vie. Après tout mourir pour des idées est plus que respectable, n’en déplaise à Brassens. On sera bien en peine de trouver les idées pour lesquels ces jeunes se sacrifient. Mais le plus fou dans tout cela est que le sacrifice ne semble pas en être un : quand la mort n’a plus de valeur, c’est que la vie elle-même en a été vidée. Ce n’est plus du courage qu’il faut pour accrocher une ceinture d’explosif autour de sa taille, c’est l’acceptation que rien n’a de sens, ni la vie ni la mort, excepté celui que confère une organisation puissante qui terrorise les musulmans et l’Occident. Le sens de la puissance, c’est à peu près ce qui reste du geste du kamikaze : leur vie n’avait pas de valeur, Daech en promet une à leur mort. Laquelle mort va essaimer d’autres morts. Des morts pour rien. Voilà la véritable philosophie de Daech : la victoire de la mort. Et il y a une jeunesse que cela fascine.

Le FN et le refus, le repli, le rejet…

Dans un tout autre registre, le Front national propose lui aussi des valeurs négatives comme ciment collectif : le refus de l’autre dans ses différentes manifestations, qu’elles soient religieuses, ethniques, ou régionales (malgré l’investissement soudain en région d’un parti qui ne jure que par le pouvoir central, mais on n’est pas à une contradiction près). Le refus du progrès et de la foi en l’homme, le repli identitaire, qui joue là aussi sur la peur : que tous ceux qui ont peur transforment leur pays en bunker insubmersible. Voilà la réponse qu’un grand nombre de jeunes Français et des plus vieux apportent à leur désarroi. Mais qu’est-ce à dire ? Que la jeunesse se tourne vers la mort, le repli, le rejet, la peur, la protection des petits chefs, la violence comme arme en lieu et place du débat, l’aliénation, l’obéissance, la sécurité ?

Mince, c’est horrible d’être jeune aujourd’hui. Est-ce la littérature qui a associé à cet âge de la vie le désir de l’étranger, la bougeotte, la curiosité, l’inconscience, l’ambition, la liberté, la transgression, la création ? Ou sont-ce nos propres souvenirs qui nous induisent en erreur ?

Qu’est-ce qu’un monde où la jeunesse oscille entre la mort et le renfermement ? Les aînés ont failli quelque part, mais enfin ce n’est plus de leur faute, car la jeunesse, c’est aussi l’âge où l’on se libère des pères et des pairs, et où l’on construit seul sa voie. Quand s’éveillera-t-on du cauchemar ? Et comment résister contre cet appel de thanatos, qu’Éros ne vient même plus contrebalancer ?

Remettre le désir au cœur du collectif

Résister, alors ? Mais comment ? En luttant contre cette pulsion de mort qui devient totalitaire ? En apprenant à aimer la vie ? À cultiver des idées, des projets, des amitiés, ces choses si simples, si évidentes, qui n’ont plus place dans la normativité actuelle portant le voile – le voile du deuil. Est-ce l’homme qui est en train de changer, terrifié par l’avenir de sa planète et choisissant de suivre le mouvement vers la destruction ? Mutation anthropologique ou passage à vide ? Où se trouvent les forces de vie ? Le désir s’est-il amenuisé en s’abîmant dans les objets à portée de porte-monnaie, s’est-il dilué, dispersé, oublié dans les choses au lieu de servir des idées, allons, des idéaux !

Mais comment construire une raison de vivre collective ? Car c’est peut-être cela qui est en faillite : le collectif. Daech d’un côté, le Front national de l’autre, proposent du collectif par identification et exclusion d’ennemis communs – la logique du bouc émissaire que René Girard a analysé en détail – autrement dit du collectif qui n’en a que le nom et dont le modèle est la duplication du même. Collectif qui bannit l’altérité.

Nos démocraties avaient pourtant inventé le modèle d’une synthèse entre collectif et altérité. Cette synthèse ne fonctionne plus. C’est qu’elle est fragile et ne peut que l’être, nulle armée, nul terroriste, nul dictateur ne peut la protéger, elle en est l’antithèse. C’est collectivement qu’elle peut être protégée, mais si le collectif n’existe plus…. Cercle vicieux.

Résister, c’est accepter la fragilité de l’équilibre et c’est remettre la confiance au centre. Le risque est-il si grand de remettre le désir au cœur du collectif ?

_Une version de ce texte peut être lue sur le site poliscite.com

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