[article] Brutalisation (Mots) [texte imprimé] / Henri Deleersnijder (1941-....), Auteur . - 2014 . - p. 10. Langues : Français ( fre) in Aide-Mémoire > 67 (janvier-mars 2014) . - p. 10
Catégories : |
316.47 Relation sociale . Violence . Torture
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Résumé : |
Article complet :
« Staline est trop brutal », peut-on lire dans ce qui est communément appelé le « testament de Lénine » et qui est en réalité un ensemble de notes dictées par le dirigeant historique de la Révolution d'octobre, gravement malade, à ses secrétaires entre le 23 décembre 1922 et le 4 janvier 1923. Il est peu de figures aussi tristement emblématiques de la violence ayant marqué d'une empreinte indélébile cet « âge des extrêmes » que fut, selon le titre d'un ouvrage d'Eric J. Hobsbawm, le XXe siècle. Il y eut Hitler bien sûr, un summum en l'espèce, et quelques autres qui laissèrent leurs traces sanguinaires dans la mémoire collective.
Mais c'est le « Petit Père des peuples » et le Fürher qui sont restés les figures les plus représentatives de la « brutalisation » d'un passé qui peine à passer, en réalité. Pour George L. Mosse, inventeur de ce jeune concept qu'il applique avant tout à la vie politique d'outre-Rhin des années 1920 et 1930, tout commence à cet égard avec la Première Guerre mondiale. Ce conflit apocalyptique, qui a jeté les unes contre les autres les nations dans une rivalité meurtrière inconnue jusque-là , a façonné comme jamais le Vieux Continent. Elle a constitué en quelque sorte la catastrophe inaugurale ou la matrice d'où sortiront le communisme stalinien et le couple infernal fascisme-nazisme. Point de vue qu'illustre le titre français du livre fondateur de cet historien américain d'origine allemande : De la Grande Guerre aux totalitarismes. La brutalisation des sociétés européennes (Hachette littératures, 1999).
Dès août 1914 commencent les exactions, des troupes allemandes en l'occurrence, sur la population civile belge sans défense. Plusieurs villes du pays se transforment ainsi en stations d'un véritable chemin d'épouvante : Visé, aux premiers jours de l'invasion, où 600 maisons deviennent la proie des flammes tandis que près de 40 habitants y sont tués et plus de 600 déportés en Allemagne ; Aerschot le 19 août, où le bourgmestre et son fils sont fusillés et 150 concitoyens exécutés ; Liège où le 20 août, sur la place de l'Université – l'actuelle place du XX-Août –, une vingtaine de maisons sont mises à feu et 17 personnes fusillées ; Tamines où, le 22 août, 400 personnes sont fauchées par des mitrailleuses et achevées à coups de baïonnettes ; Dinant, où le centre-ville et la collégiale sont incendiés le 23 août et 674 personnes abattues, tandis que 410 de ses habitants seront déportés vers Kassel ; Louvain livrée au pillage, où la bibliothèque universitaire part en fumée à partir du 25 août.
Sinistre martyrologe dont furent rendus responsables ceux qu'on comparait volontiers à des hordes de Huns dans le premier mois des hostilités déjà . Le stéréotype, surgi du fond des âges et qui avait notamment cours chez les Britanniques évoquant à propos des Teutons l'image du chef Attila, on le retrouve en 1915 sous la plume d'un poète français du nom d'Adolphe Gysin : « Pour chasser la bête immonde,/S'il le faut, on ira tous!/Qu'on se le dise à la ronde/[...] S'il faut à la baïonnette/Charger les Huns au poil roux,/Nous irons comme à la fête. » Tout cela, comme on sait, s'est terminé dans un effroyable carnage où La Faucheuse fut durablement épaulée par la folie nationaliste des hommes. Et dans les régions que la furie guerrière dévasta, seuls subsistent aujourd'hui – comme souvenir de toute une jeunesse européenne tombée au champ d'horreur – de modestes tombes, sagement alignées dans des cimetières où le silence a remplacé pour toujours le vacarme des armes. Bilan terrifiant donc de celle dont on avait espéré qu'elle serait la « der des ders » : près de dix millions de morts, sans compter le nombre incalculable de blessés dont au moins un tiers d'infirmes (mutilés, gazés, « gueules cassées »).
C'est dire combien les mutins de 1917 doivent trouver leur juste place dans les mises en scène que va susciter cette année la commémoration de la guerre 14-18! Leur refus de poursuivre la sinistre boucherie qui avait procédé à l'animalisation de l'adversaire était marqué du sceau de l'humanité. Comme quoi, il est des rébellions salutaires : les oublier ne ferait que rendre vain le rituel du souvenir. |
En ligne : |
http://www.territoires-memoire.be/se-documenter/revue-aide-memoire/am-les-dernie [...] |
Format de la ressource électronique : |
Article en ligne |
Permalink : |
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[article]
Titre : |
Brutalisation (Mots) |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Henri Deleersnijder (1941-....), Auteur |
Année de publication : |
2014 |
Article en page(s) : |
p. 10 |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
316.47 Relation sociale . Violence . Torture
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Résumé : |
Article complet :
« Staline est trop brutal », peut-on lire dans ce qui est communément appelé le « testament de Lénine » et qui est en réalité un ensemble de notes dictées par le dirigeant historique de la Révolution d'octobre, gravement malade, à ses secrétaires entre le 23 décembre 1922 et le 4 janvier 1923. Il est peu de figures aussi tristement emblématiques de la violence ayant marqué d'une empreinte indélébile cet « âge des extrêmes » que fut, selon le titre d'un ouvrage d'Eric J. Hobsbawm, le XXe siècle. Il y eut Hitler bien sûr, un summum en l'espèce, et quelques autres qui laissèrent leurs traces sanguinaires dans la mémoire collective.
Mais c'est le « Petit Père des peuples » et le Fürher qui sont restés les figures les plus représentatives de la « brutalisation » d'un passé qui peine à passer, en réalité. Pour George L. Mosse, inventeur de ce jeune concept qu'il applique avant tout à la vie politique d'outre-Rhin des années 1920 et 1930, tout commence à cet égard avec la Première Guerre mondiale. Ce conflit apocalyptique, qui a jeté les unes contre les autres les nations dans une rivalité meurtrière inconnue jusque-là , a façonné comme jamais le Vieux Continent. Elle a constitué en quelque sorte la catastrophe inaugurale ou la matrice d'où sortiront le communisme stalinien et le couple infernal fascisme-nazisme. Point de vue qu'illustre le titre français du livre fondateur de cet historien américain d'origine allemande : De la Grande Guerre aux totalitarismes. La brutalisation des sociétés européennes (Hachette littératures, 1999).
Dès août 1914 commencent les exactions, des troupes allemandes en l'occurrence, sur la population civile belge sans défense. Plusieurs villes du pays se transforment ainsi en stations d'un véritable chemin d'épouvante : Visé, aux premiers jours de l'invasion, où 600 maisons deviennent la proie des flammes tandis que près de 40 habitants y sont tués et plus de 600 déportés en Allemagne ; Aerschot le 19 août, où le bourgmestre et son fils sont fusillés et 150 concitoyens exécutés ; Liège où le 20 août, sur la place de l'Université – l'actuelle place du XX-Août –, une vingtaine de maisons sont mises à feu et 17 personnes fusillées ; Tamines où, le 22 août, 400 personnes sont fauchées par des mitrailleuses et achevées à coups de baïonnettes ; Dinant, où le centre-ville et la collégiale sont incendiés le 23 août et 674 personnes abattues, tandis que 410 de ses habitants seront déportés vers Kassel ; Louvain livrée au pillage, où la bibliothèque universitaire part en fumée à partir du 25 août.
Sinistre martyrologe dont furent rendus responsables ceux qu'on comparait volontiers à des hordes de Huns dans le premier mois des hostilités déjà . Le stéréotype, surgi du fond des âges et qui avait notamment cours chez les Britanniques évoquant à propos des Teutons l'image du chef Attila, on le retrouve en 1915 sous la plume d'un poète français du nom d'Adolphe Gysin : « Pour chasser la bête immonde,/S'il le faut, on ira tous!/Qu'on se le dise à la ronde/[...] S'il faut à la baïonnette/Charger les Huns au poil roux,/Nous irons comme à la fête. » Tout cela, comme on sait, s'est terminé dans un effroyable carnage où La Faucheuse fut durablement épaulée par la folie nationaliste des hommes. Et dans les régions que la furie guerrière dévasta, seuls subsistent aujourd'hui – comme souvenir de toute une jeunesse européenne tombée au champ d'horreur – de modestes tombes, sagement alignées dans des cimetières où le silence a remplacé pour toujours le vacarme des armes. Bilan terrifiant donc de celle dont on avait espéré qu'elle serait la « der des ders » : près de dix millions de morts, sans compter le nombre incalculable de blessés dont au moins un tiers d'infirmes (mutilés, gazés, « gueules cassées »).
C'est dire combien les mutins de 1917 doivent trouver leur juste place dans les mises en scène que va susciter cette année la commémoration de la guerre 14-18! Leur refus de poursuivre la sinistre boucherie qui avait procédé à l'animalisation de l'adversaire était marqué du sceau de l'humanité. Comme quoi, il est des rébellions salutaires : les oublier ne ferait que rendre vain le rituel du souvenir. |
En ligne : |
http://www.territoires-memoire.be/se-documenter/revue-aide-memoire/am-les-dernie [...] |
Format de la ressource électronique : |
Article en ligne |
Permalink : |
https://bibliotheque.territoires-memoire.be/pmb/opac_css/index.php?lvl=notice_di |
in Aide-Mémoire > 67 (janvier-mars 2014) . - p. 10
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