Pour en finir avec le front national [texte imprimé] / Alain Bihr (1950-....) . - Paris : Syros, 1992 . - p. 284. - ( pour débattre) . ISBN : 978-2-86738-853-8 Langues : Français ( fre)
Catégories : |
171:329.18 Antifascisme - Lutte contre l'extrême droite 316 Sociologie 329.18 Tendance d'extrême droite 329.18(44) Front National (FN France)
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Index. décimale : |
329.18 Extrême droite, nationalisme, populisme |
Résumé : |
Note de lecture du site RéflexeS (http://reflexes.samizdat.net/spip.php?article306)
Pour en finir avec le Front national
Le Front national serait, selon A. Bihr « le révélateur et le catalyseur de quelques-unes des fractures [...] majeures de la société française ». C’est pourquoi, « penser le FN, c’est [...] dépasser le stade d’une dénonciation qui relève de l’exorcisme. C’est comprendre que le nécessaire combat politique contre lui nous confronte à une tâche d’une tout autre ampleur : refonder un mouvement social émancipateur, capable de faire face aux différentes crises structurelles qui secouent la société française ; réinventer une alternative politique globale qui soit à la hauteur des défis majeurs, écologique, socio-économique, institutionnel, symbolique de notre époque. » Vaste programme ! Pour atteindre cet objectif, l’auteur décompose son livre en trois parties.
La première est consacrée à l’étude de la base sociale du FN. L’auteur démontre l’existence de deux électorats lepénistes. D’un côté, on retrouve des membres des classes moyennes traditionnelles (commerçants, artisans, agriculteurs) ; de l’autre, des salariés provenant du prolétariat (ouvriers, personnel de service et employés) et de l’encadrement (cadres moyens et employés). Mais ces classes moyennes sont surreprésentées, au contraire des classes salariées. Politiquement, cela traduit une radicalisation à droite de ces classes moyennes, en continuité avec leurs positions politiques, alors que les classes salariées proviennent de la droite mais aussi de la gauche, ce qui occasionne, pour certaines, une rupture avec leur univers politique. En effet, « c’est [...] une part significative de l’ensemble des classes moyennes traditionnelles que le FN est parvenu à mobiliser derrière lui, en profitant du vide créé par la rupture de leur ancienne alliance hégémonique [1] avec la classe dominante. » Mais la montée du FN est aussi liée à la crise du mouvement ouvrier, surtout due à la remise en cause du mode d’exploitation fordiste, mais aussi à l’évolution de la « gauche » durant la décennie écoulée ; c’est pourquoi les idéaux traditionnellement rattachés à la « gauche » (solidarité, égalité, justice sociale) se sont vus totalement discrédités.
Dans la deuxième partie, l’auteur analyse le ciment idéologique et s’intéresse en premier lieu à la crise de l’État-nation. La mise en place de nouvelles formes d’exploitation de la force de travail - instauration de la société duale - , n’a pas uniquement des conséquences au niveau national, mais aussi au niveau international : elle met à mal les rapports internationaux qui présidaient jusqu’alors. En effet, pendant la période fordienne (les Trente Glorieuses), l’État avait une fonction de planification de l’accumulation, c’est-à -dire qu’il tentait d’assurer la cohérence et l’autosuffisance de l’appareil productif. « Cette planification reposait sur la concertation entre l’État et les principaux monopoles industriels et bancaires d’une part, sur l’institutionnalisation du dialogue social d’autre part. » Ce processus impose le passage d’une économie mondiale internationale à une économie mondiale transnationale : « D’une part, la concertation entre État et monopoles n’est plus possible dès lors qu’une part croissante de l’appareil productif national est entre les mains de groupes étrangers sur lesquels l’État n’a que peu de moyen de pression et que, en se multinationalisant, les monopoles nationaux abandonnent toute stratégie purement nationale. D’autre part, avec la transnationalisation du capital, des fractions de la classe dominante [...] ont de moins en moins d’intérêts proprement nationaux, ce qui rend parfaitement inutile à leurs yeux la recherche d’un compromis avec les autres classes nationales autour d’un développement autocentré. » Les conséquences politiques et sociales sont loin d’être négligeables. D’un côté, l’État est de plus en plus libéral envers le capital, aidant au renforcement de l’exploitation de la force de travail (précarisation, remise en cause d’acquis sociaux) ; de l’autre, il devient de plus en plus autoritaire à l’égard des victimes de l’exploitation et de l’exclusion, renforçant un arsenal de plus en plus répressif. En deuxième lieu, A. Bihr s’intéresse à la crise culturelle, ou crise du sens, qui secoue en particulier la société française, mais aussi l’ensemble des sociétés contemporaines. « Par crise du sens, j’entends l’incapacité, propre aux sociétés contemporaines, d’élaborer et de proposer à leurs membres un système de références (idées, normes, valeurs) qui leur permettrait de donner un sens stable et cohérent à leur existence : de construire leur identité, de communiquer avec les autres, de participer à la production du monde, en le rendant subjectivement vivable et habitable. » En effet, « en soumettant l’ensemble des rapports sociaux à une série d’abstractions (l’argent, le droit et la loi, l’État, la communication de masse, la rationalité instrumentale), ces fétichismes ont progressivement installé les sujets sociaux (individus, groupes, classes, nations) dans une dépossession permanente de leurs actes, en faisant apparaître la société comme une machinerie dépourvue de sens. » Ainsi, le « chacun pour soi », le « système D » prennent le pas sur les dimensions collectives. Pour renforcer son audience et rendre durable son influence en s’appuyant sur cette crise de sens renforcée par la crise économique, le Front national a entrepris un travail idéologique fondé sur quatre thèmes : le ressentiment, l’insécurité, la décadence et le néo-racisme (racisme différencialiste théorisé par A. de Besnoit). En fait, la force du FN tient essentiellement à sa capacité à construire « un imaginaire politique : faire rêver son auditoire, lui faire croire qu’avec lui tout (re)devient possible, que les lendemains chanteront de nouveau ». Dans la troisième partie de son ouvrage, A. Bihr nous propose les perspectives politiques pour en finir avec le FN. D’emblée, l’auteur écarte l’hypothèse d’une réponse fasciste - rappelant les années 1930 - à la crise actuelle. Plusieurs raisons militent en ce sens : • « La classe dominante n’a, pour l’instant, nul besoin d’instaurer une forme quelconque de régime d’exception ». Le mouvement ouvrier est dans un tel état de faiblesse, qu’elle n’a pas de crainte de ce côté. • « La crise du vieux bloc hégémonique [...] a rapidement trouvé sa solution dans l’esquisse d’un nouveau bloc hégémonique dont le PS [...] s’est fait le chef d’orchestre [...] ».
• Le processus de transnationalisation a engendré l’éclatement de l’ancien bloc hégémonique, « en provoquant du même coup la radicalisation et l’autonomisation politiques d’une partie des classes moyennes ». En outre, A. Bihr remarque qu’on ne peut calquer les organisations fascistes sévissant dans les années 1930 en Allemagne et en Italie [2]. Si la crise ne devient pas catastrophique, contraignant les bourgeoisies à recourir à un régime d’exception, le FN se cantonnera dans le rôle d’un « pouvoir de fait » [3], mais dont l’influence est loin d’être négligeable, bien au contraire.
Bihr tente d’analyser les raisons qui sont, jusqu’à présent, la cause de l’échec de la lutte contre le FN et en particulier la faiblesse des opposants (les organisations politiques de droite comme de gauche ont repris plusieurs thèmes prônés par l’extrême droite : racisme, insécurité, etc. Mais il y a aussi la méconnaissance du phénomène frontiste, les luttes qui se sont souvent limitées à la défense du système politique institutionnel en place et la faiblesse d’un rempart éthique fondé sur des principes intangibles). Pour lutter contre le FN, l’auteur avance quelques pistes. Tout d’abord, il faut faire face à la crise du mouvement ouvrier, et ce, d’un côté, par des actions défensives, comme « la dénonciation du programme économique et social du FN » mais aussi par la lutte contre l’exclusion économique et sociale. C’est ainsi qu’il faut tenter de redévelopper la convivialité et la solidarité de classe en brisant les barrières raciales, sexistes, etc. Ensuite, par des propositions offensives : réduction du temps de travail, sur le thème « travailler tous, travailler moins, travailler autrement » ; relancer les luttes pour un Revenu social garanti. En outre, le mouvement ouvrier doit faire en sorte de « casser le front de la réaction, c’est-à -dire empêcher l’ensemble des classes moyennes traditionnelles de faire corps derrière le FN. » Selon l’auteur, il importe de répondre aussi à la crise de la démocratie que nous connaissons - la démocratie devenant de plus en plus autoritaire - et ce, en poussant jusqu’au bout les principes démocratiques : par exemple, en instaurant le référendum d’initiative populaire, en déprofessionnalisant la vie politique, en introduisant la proportionnelle, en redynamisant l’action municipale et locale, en introduisant la démocratie dans l’entreprise, les médias, etc. mais aussi en développant les contre-pouvoirs en vue d’impulser des alternatives. Cela suppose de mettre le FN hors jeu démocratique. Pour faire face à « la crise du sens », l’auteur propose de « créer les conditions qui permettent à chacun selon sa situation et ses choix, de se construire une image cohérente du monde, des autres et de lui-même, de manière à rendre l’existence subjectivement vivable et même désirable [...]. Il s’agirait de réaffirmer l’utopie d’une humanité réconciliée avec la nature et avec elle-même, sans pour autant ni fétichiser la nature ni prôner on ne sait quelle uniformité totalitaire. » En ce qui concerne la crise de l’État-nation, nous avons publié dans le dossier citoyenneté (voir REFLEXes n°38) l’ensemble de ce sous-chapitre, il n’est donc pas utile d’y revenir.
Force est donc de constater que l’ouvrage d’A. Bihr est un outil précieux pour qui veut lutter contre la montée du FN en particulier, et contre les idéologies autoritaires et sécuritaires en général. Il est intéressant que l’auteur articule connaissances, luttes défensives et perspectives. Mais c’est à propos de ce dernier aspect que nous formulerons quelques critiques. Nous avons montré dans le dossier citoyenneté (REFLEXes n°38) que certains fondements de la philosophie politique d’A. Bihr reposaient sur une conception évolutionniste de l’Histoire (par exemple, sa volonté de « parachever l’État démocratique ») qui relève d’options dans lesquelles nous ne pouvons nous retrouver. L’idée de rupture, d’alternative révolutionnaire que nous défendons, suppose de rompre avec tout le carcan de l’organisation institutionnelle du pouvoir politique (gouvernement, parlement, etc.) ; ainsi, on ne peut avoir comme objectif, par exemple, de vouloir parachever l’État démocratique comme le propose l’auteur. L’expérience des luttes de l’immigration est à ce sujet suffisamment éloquente, tant par leurs échecs que par les effets qu’ont engendrés ces stratégies au sein des mouvements. On ne révolutionne pas une société par étapes, en lui faisant subir jusqu’au bout un processus correspondant à une étape donnée. Au contraire, il importe d’instaurer délibérément des ruptures, et ce en fonction de finalités non pas déterminées par un « absolu » historique, mais bien selon des utopies élaborées par des individus agissants, en vue d’autres organisations sociales qu’ils tentent d’inventer dans les mouvements politiques, sociaux, culturels auxquels ils participent ; en créant des espaces politiques, sociaux et culturels (autrement dit des pôles, cf. « Pour une citoyenneté active », dossier citoyenneté REFLEXesn°38), lieux de confrontations, d’échanges, d’apports réciproques et de convivialité. JC Pour en finir avec le Front national, Alain Bihr, Éditions Syros, 1992. 110 Frs. |
Permalink : |
https://bibliotheque.territoires-memoire.be/pmb/opac_css/index.php?lvl=notice_di |
Titre : |
Pour en finir avec le front national |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Alain Bihr (1950-....) |
Editeur : |
Paris : Syros |
Année de publication : |
1992 |
Collection : |
pour débattre |
Importance : |
p. 284 |
ISBN/ISSN/EAN : |
978-2-86738-853-8 |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
171:329.18 Antifascisme - Lutte contre l'extrême droite 316 Sociologie 329.18 Tendance d'extrême droite 329.18(44) Front National (FN France)
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Index. décimale : |
329.18 Extrême droite, nationalisme, populisme |
Résumé : |
Note de lecture du site RéflexeS (http://reflexes.samizdat.net/spip.php?article306)
Pour en finir avec le Front national
Le Front national serait, selon A. Bihr « le révélateur et le catalyseur de quelques-unes des fractures [...] majeures de la société française ». C’est pourquoi, « penser le FN, c’est [...] dépasser le stade d’une dénonciation qui relève de l’exorcisme. C’est comprendre que le nécessaire combat politique contre lui nous confronte à une tâche d’une tout autre ampleur : refonder un mouvement social émancipateur, capable de faire face aux différentes crises structurelles qui secouent la société française ; réinventer une alternative politique globale qui soit à la hauteur des défis majeurs, écologique, socio-économique, institutionnel, symbolique de notre époque. » Vaste programme ! Pour atteindre cet objectif, l’auteur décompose son livre en trois parties.
La première est consacrée à l’étude de la base sociale du FN. L’auteur démontre l’existence de deux électorats lepénistes. D’un côté, on retrouve des membres des classes moyennes traditionnelles (commerçants, artisans, agriculteurs) ; de l’autre, des salariés provenant du prolétariat (ouvriers, personnel de service et employés) et de l’encadrement (cadres moyens et employés). Mais ces classes moyennes sont surreprésentées, au contraire des classes salariées. Politiquement, cela traduit une radicalisation à droite de ces classes moyennes, en continuité avec leurs positions politiques, alors que les classes salariées proviennent de la droite mais aussi de la gauche, ce qui occasionne, pour certaines, une rupture avec leur univers politique. En effet, « c’est [...] une part significative de l’ensemble des classes moyennes traditionnelles que le FN est parvenu à mobiliser derrière lui, en profitant du vide créé par la rupture de leur ancienne alliance hégémonique [1] avec la classe dominante. » Mais la montée du FN est aussi liée à la crise du mouvement ouvrier, surtout due à la remise en cause du mode d’exploitation fordiste, mais aussi à l’évolution de la « gauche » durant la décennie écoulée ; c’est pourquoi les idéaux traditionnellement rattachés à la « gauche » (solidarité, égalité, justice sociale) se sont vus totalement discrédités.
Dans la deuxième partie, l’auteur analyse le ciment idéologique et s’intéresse en premier lieu à la crise de l’État-nation. La mise en place de nouvelles formes d’exploitation de la force de travail - instauration de la société duale - , n’a pas uniquement des conséquences au niveau national, mais aussi au niveau international : elle met à mal les rapports internationaux qui présidaient jusqu’alors. En effet, pendant la période fordienne (les Trente Glorieuses), l’État avait une fonction de planification de l’accumulation, c’est-à -dire qu’il tentait d’assurer la cohérence et l’autosuffisance de l’appareil productif. « Cette planification reposait sur la concertation entre l’État et les principaux monopoles industriels et bancaires d’une part, sur l’institutionnalisation du dialogue social d’autre part. » Ce processus impose le passage d’une économie mondiale internationale à une économie mondiale transnationale : « D’une part, la concertation entre État et monopoles n’est plus possible dès lors qu’une part croissante de l’appareil productif national est entre les mains de groupes étrangers sur lesquels l’État n’a que peu de moyen de pression et que, en se multinationalisant, les monopoles nationaux abandonnent toute stratégie purement nationale. D’autre part, avec la transnationalisation du capital, des fractions de la classe dominante [...] ont de moins en moins d’intérêts proprement nationaux, ce qui rend parfaitement inutile à leurs yeux la recherche d’un compromis avec les autres classes nationales autour d’un développement autocentré. » Les conséquences politiques et sociales sont loin d’être négligeables. D’un côté, l’État est de plus en plus libéral envers le capital, aidant au renforcement de l’exploitation de la force de travail (précarisation, remise en cause d’acquis sociaux) ; de l’autre, il devient de plus en plus autoritaire à l’égard des victimes de l’exploitation et de l’exclusion, renforçant un arsenal de plus en plus répressif. En deuxième lieu, A. Bihr s’intéresse à la crise culturelle, ou crise du sens, qui secoue en particulier la société française, mais aussi l’ensemble des sociétés contemporaines. « Par crise du sens, j’entends l’incapacité, propre aux sociétés contemporaines, d’élaborer et de proposer à leurs membres un système de références (idées, normes, valeurs) qui leur permettrait de donner un sens stable et cohérent à leur existence : de construire leur identité, de communiquer avec les autres, de participer à la production du monde, en le rendant subjectivement vivable et habitable. » En effet, « en soumettant l’ensemble des rapports sociaux à une série d’abstractions (l’argent, le droit et la loi, l’État, la communication de masse, la rationalité instrumentale), ces fétichismes ont progressivement installé les sujets sociaux (individus, groupes, classes, nations) dans une dépossession permanente de leurs actes, en faisant apparaître la société comme une machinerie dépourvue de sens. » Ainsi, le « chacun pour soi », le « système D » prennent le pas sur les dimensions collectives. Pour renforcer son audience et rendre durable son influence en s’appuyant sur cette crise de sens renforcée par la crise économique, le Front national a entrepris un travail idéologique fondé sur quatre thèmes : le ressentiment, l’insécurité, la décadence et le néo-racisme (racisme différencialiste théorisé par A. de Besnoit). En fait, la force du FN tient essentiellement à sa capacité à construire « un imaginaire politique : faire rêver son auditoire, lui faire croire qu’avec lui tout (re)devient possible, que les lendemains chanteront de nouveau ». Dans la troisième partie de son ouvrage, A. Bihr nous propose les perspectives politiques pour en finir avec le FN. D’emblée, l’auteur écarte l’hypothèse d’une réponse fasciste - rappelant les années 1930 - à la crise actuelle. Plusieurs raisons militent en ce sens : • « La classe dominante n’a, pour l’instant, nul besoin d’instaurer une forme quelconque de régime d’exception ». Le mouvement ouvrier est dans un tel état de faiblesse, qu’elle n’a pas de crainte de ce côté. • « La crise du vieux bloc hégémonique [...] a rapidement trouvé sa solution dans l’esquisse d’un nouveau bloc hégémonique dont le PS [...] s’est fait le chef d’orchestre [...] ».
• Le processus de transnationalisation a engendré l’éclatement de l’ancien bloc hégémonique, « en provoquant du même coup la radicalisation et l’autonomisation politiques d’une partie des classes moyennes ». En outre, A. Bihr remarque qu’on ne peut calquer les organisations fascistes sévissant dans les années 1930 en Allemagne et en Italie [2]. Si la crise ne devient pas catastrophique, contraignant les bourgeoisies à recourir à un régime d’exception, le FN se cantonnera dans le rôle d’un « pouvoir de fait » [3], mais dont l’influence est loin d’être négligeable, bien au contraire.
Bihr tente d’analyser les raisons qui sont, jusqu’à présent, la cause de l’échec de la lutte contre le FN et en particulier la faiblesse des opposants (les organisations politiques de droite comme de gauche ont repris plusieurs thèmes prônés par l’extrême droite : racisme, insécurité, etc. Mais il y a aussi la méconnaissance du phénomène frontiste, les luttes qui se sont souvent limitées à la défense du système politique institutionnel en place et la faiblesse d’un rempart éthique fondé sur des principes intangibles). Pour lutter contre le FN, l’auteur avance quelques pistes. Tout d’abord, il faut faire face à la crise du mouvement ouvrier, et ce, d’un côté, par des actions défensives, comme « la dénonciation du programme économique et social du FN » mais aussi par la lutte contre l’exclusion économique et sociale. C’est ainsi qu’il faut tenter de redévelopper la convivialité et la solidarité de classe en brisant les barrières raciales, sexistes, etc. Ensuite, par des propositions offensives : réduction du temps de travail, sur le thème « travailler tous, travailler moins, travailler autrement » ; relancer les luttes pour un Revenu social garanti. En outre, le mouvement ouvrier doit faire en sorte de « casser le front de la réaction, c’est-à -dire empêcher l’ensemble des classes moyennes traditionnelles de faire corps derrière le FN. » Selon l’auteur, il importe de répondre aussi à la crise de la démocratie que nous connaissons - la démocratie devenant de plus en plus autoritaire - et ce, en poussant jusqu’au bout les principes démocratiques : par exemple, en instaurant le référendum d’initiative populaire, en déprofessionnalisant la vie politique, en introduisant la proportionnelle, en redynamisant l’action municipale et locale, en introduisant la démocratie dans l’entreprise, les médias, etc. mais aussi en développant les contre-pouvoirs en vue d’impulser des alternatives. Cela suppose de mettre le FN hors jeu démocratique. Pour faire face à « la crise du sens », l’auteur propose de « créer les conditions qui permettent à chacun selon sa situation et ses choix, de se construire une image cohérente du monde, des autres et de lui-même, de manière à rendre l’existence subjectivement vivable et même désirable [...]. Il s’agirait de réaffirmer l’utopie d’une humanité réconciliée avec la nature et avec elle-même, sans pour autant ni fétichiser la nature ni prôner on ne sait quelle uniformité totalitaire. » En ce qui concerne la crise de l’État-nation, nous avons publié dans le dossier citoyenneté (voir REFLEXes n°38) l’ensemble de ce sous-chapitre, il n’est donc pas utile d’y revenir.
Force est donc de constater que l’ouvrage d’A. Bihr est un outil précieux pour qui veut lutter contre la montée du FN en particulier, et contre les idéologies autoritaires et sécuritaires en général. Il est intéressant que l’auteur articule connaissances, luttes défensives et perspectives. Mais c’est à propos de ce dernier aspect que nous formulerons quelques critiques. Nous avons montré dans le dossier citoyenneté (REFLEXes n°38) que certains fondements de la philosophie politique d’A. Bihr reposaient sur une conception évolutionniste de l’Histoire (par exemple, sa volonté de « parachever l’État démocratique ») qui relève d’options dans lesquelles nous ne pouvons nous retrouver. L’idée de rupture, d’alternative révolutionnaire que nous défendons, suppose de rompre avec tout le carcan de l’organisation institutionnelle du pouvoir politique (gouvernement, parlement, etc.) ; ainsi, on ne peut avoir comme objectif, par exemple, de vouloir parachever l’État démocratique comme le propose l’auteur. L’expérience des luttes de l’immigration est à ce sujet suffisamment éloquente, tant par leurs échecs que par les effets qu’ont engendrés ces stratégies au sein des mouvements. On ne révolutionne pas une société par étapes, en lui faisant subir jusqu’au bout un processus correspondant à une étape donnée. Au contraire, il importe d’instaurer délibérément des ruptures, et ce en fonction de finalités non pas déterminées par un « absolu » historique, mais bien selon des utopies élaborées par des individus agissants, en vue d’autres organisations sociales qu’ils tentent d’inventer dans les mouvements politiques, sociaux, culturels auxquels ils participent ; en créant des espaces politiques, sociaux et culturels (autrement dit des pôles, cf. « Pour une citoyenneté active », dossier citoyenneté REFLEXesn°38), lieux de confrontations, d’échanges, d’apports réciproques et de convivialité. JC Pour en finir avec le Front national, Alain Bihr, Éditions Syros, 1992. 110 Frs. |
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