[article] “Les néofascistes sont les vrais Bisounours !” [texte imprimé] / FREDERIC WORMS, Personne interviewée ; Alexandre Lacroix, Intervieweur . - 2017 . - p. 30. Langues : Français ( fre) in Philosophie magazine > 108 (avril 2017) . - p. 30
Catégories : |
171:329.18 Antifascisme - Lutte contre l'extrême droite
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Résumé : |
Pour déconstruire les discours de Donald Trump ou du Front national, démontrons qu’ils sont non seulement dangereux, mais naïfs et irréalistes : telle est la ligne critique de Frédéric Worms.
À propos du décret anti-immigration de Trump, Marion Maréchal Le Pen a déclaré : « Je ne trouve pas ça choquant », tandis que Steeve Briois, vice-président du Front national (FN), a lancé : « Et pourquoi pas en France ? » Votre réaction ?
Frédéric Worms : Interdire l’entrée, comme expulser, relève de l’illusion : cela consiste à croire qu’on peut faire une différence entre un groupe d’individus dangereux par essence et une communauté qui serait en sécurité, par essence aussi, du moment qu’elle a mis le danger dehors. Ma thèse, c’est que toutes les communautés sont divisées de l’intérieur, que bien sûr les musulmans ne sont pas intrinsèquement terroristes et qu’il restera aux États-Unis, comme en France, même et surtout avec des mesures de ce type, bien des dangers.
Steeve Briois se justifiait ainsi : « On n’est plus dans le monde des Bisounours. On est dans un monde horrible, donc de temps en temps, il faut prendre aussi des mesures d’autorité, quitte à choquer. »
Mais nous n’avons jamais vécu dans le monde des Bisounours ! Selon moi, les néofascistes et les néopopulistes sont les vrais Bisounours. Ils croient que, après avoir expulsé quelques dizaines de milliers de personnes, le peuple réuni va enfin couler des jours tranquilles. Quelle illusion ! Le courage démocratique consiste à admettre qu’on est complexe et divisé. Le racisme transpose cette division intérieure en une image de soi-même positive et une image de l’autre négative. C’est ce que j’appelle le déni de l’ambivalence. Or, l’ambivalence est une caractéristique de l’humain, que nous devons surmonter dans la vie individuelle pour être heureux et dans la vie collective pour être juste.
Marine Le Pen affirme : « Nous avons 7 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres. Les Français doivent être prioritaires dans leur propre pays. » Que pensez-vous de ce patriotisme économique, cher à Trump et au FN ?
Cette doctrine est très irréaliste. Comment imaginer qu’il soit possible de bannir les travailleurs immigrés pour combler les emplois vacants avec les chômeurs français ? En économie, la force de travail ne se transvase pas automatiquement. Le véritable patriotisme économique consisterait à s’inquiéter du sort de ces chômeurs, à les aider à se réinsérer, mais pour cela, il est nécessaire qu’on leur donne des formations. Le FN remplace les questions sociales par des questions nationales, or c’est l’inverse qu’il faut faire. Quelle est la politique fiscale, d’éducation et de santé de Marine Le Pen ?
Sur ce point, elle s’est montrée plus ardente défenseuse de la Sécurité sociale que François Fillon : « Je suis attachée à notre système de protection sociale. C’est ma vision de la solidarité nationale. »
J’ai intitulé mon livre Les Maladies chroniques de la démocratie. Ce n’est pas une métaphore. L’un des grands rôles de la démocratie est de remédier aux questions de santé publique. Les maladies, avec le vieillissement de la population, sont de plus en plus chroniques. Le découpage du génome change la donne, on saura bientôt avant la naissance quels cancers va développer un individu. Le défi est de penser une protection sociale tout au long de la vie, qui évite le surgissement des dangers. Comment répartir de façon juste les moyens d’un tel accompagnement ? Comment soigner les personnes à distance grâce à la médecine numérique, gérer les données biomédicales des patients, les protéger contre les géants américains ? Les Républicains, qui veulent privatiser l’assurance maladie, comme ceux qui veulent conserver la Sécurité sociale actuelle, ne voient pas qu’une révolution du soin est en cours.
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Permalink : |
https://bibliotheque.territoires-memoire.be/pmb/opac_css/index.php?lvl=notice_di |
[article]
Titre : |
“Les néofascistes sont les vrais Bisounours !” |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
FREDERIC WORMS, Personne interviewée ; Alexandre Lacroix, Intervieweur |
Année de publication : |
2017 |
Article en page(s) : |
p. 30 |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
171:329.18 Antifascisme - Lutte contre l'extrême droite
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Résumé : |
Pour déconstruire les discours de Donald Trump ou du Front national, démontrons qu’ils sont non seulement dangereux, mais naïfs et irréalistes : telle est la ligne critique de Frédéric Worms.
À propos du décret anti-immigration de Trump, Marion Maréchal Le Pen a déclaré : « Je ne trouve pas ça choquant », tandis que Steeve Briois, vice-président du Front national (FN), a lancé : « Et pourquoi pas en France ? » Votre réaction ?
Frédéric Worms : Interdire l’entrée, comme expulser, relève de l’illusion : cela consiste à croire qu’on peut faire une différence entre un groupe d’individus dangereux par essence et une communauté qui serait en sécurité, par essence aussi, du moment qu’elle a mis le danger dehors. Ma thèse, c’est que toutes les communautés sont divisées de l’intérieur, que bien sûr les musulmans ne sont pas intrinsèquement terroristes et qu’il restera aux États-Unis, comme en France, même et surtout avec des mesures de ce type, bien des dangers.
Steeve Briois se justifiait ainsi : « On n’est plus dans le monde des Bisounours. On est dans un monde horrible, donc de temps en temps, il faut prendre aussi des mesures d’autorité, quitte à choquer. »
Mais nous n’avons jamais vécu dans le monde des Bisounours ! Selon moi, les néofascistes et les néopopulistes sont les vrais Bisounours. Ils croient que, après avoir expulsé quelques dizaines de milliers de personnes, le peuple réuni va enfin couler des jours tranquilles. Quelle illusion ! Le courage démocratique consiste à admettre qu’on est complexe et divisé. Le racisme transpose cette division intérieure en une image de soi-même positive et une image de l’autre négative. C’est ce que j’appelle le déni de l’ambivalence. Or, l’ambivalence est une caractéristique de l’humain, que nous devons surmonter dans la vie individuelle pour être heureux et dans la vie collective pour être juste.
Marine Le Pen affirme : « Nous avons 7 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres. Les Français doivent être prioritaires dans leur propre pays. » Que pensez-vous de ce patriotisme économique, cher à Trump et au FN ?
Cette doctrine est très irréaliste. Comment imaginer qu’il soit possible de bannir les travailleurs immigrés pour combler les emplois vacants avec les chômeurs français ? En économie, la force de travail ne se transvase pas automatiquement. Le véritable patriotisme économique consisterait à s’inquiéter du sort de ces chômeurs, à les aider à se réinsérer, mais pour cela, il est nécessaire qu’on leur donne des formations. Le FN remplace les questions sociales par des questions nationales, or c’est l’inverse qu’il faut faire. Quelle est la politique fiscale, d’éducation et de santé de Marine Le Pen ?
Sur ce point, elle s’est montrée plus ardente défenseuse de la Sécurité sociale que François Fillon : « Je suis attachée à notre système de protection sociale. C’est ma vision de la solidarité nationale. »
J’ai intitulé mon livre Les Maladies chroniques de la démocratie. Ce n’est pas une métaphore. L’un des grands rôles de la démocratie est de remédier aux questions de santé publique. Les maladies, avec le vieillissement de la population, sont de plus en plus chroniques. Le découpage du génome change la donne, on saura bientôt avant la naissance quels cancers va développer un individu. Le défi est de penser une protection sociale tout au long de la vie, qui évite le surgissement des dangers. Comment répartir de façon juste les moyens d’un tel accompagnement ? Comment soigner les personnes à distance grâce à la médecine numérique, gérer les données biomédicales des patients, les protéger contre les géants américains ? Les Républicains, qui veulent privatiser l’assurance maladie, comme ceux qui veulent conserver la Sécurité sociale actuelle, ne voient pas qu’une révolution du soin est en cours.
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Permalink : |
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in Philosophie magazine > 108 (avril 2017) . - p. 30
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