[article] Le droit universel existe-t-il ? : justice internationale [texte imprimé] / Sandrine Tolotti, Auteur ; Chloé Poizat, Illustrateur . - 2007 . - pp. 48-59. Langues : Français ( fre) in Alternatives internationales > 35 (juin 2007) . - pp. 48-59
Catégories : |
061.1:341 Cour Pénale International 172.4 Morale Ethique internationale / Paix / Pacifisme 32(676.1) Politique de l'Ouganda 341.4 Droit pénal international 341.485(596) Génocide cambodgien 347.9 Tribunal cambodgien (procès des Khmers rouges) 347.9(100) Tribunal Pénal International (TPI ONU) 347.9(100) Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY La Haye) 347.9(100) Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR Arusha) 347.9(100) Tribunal Spécial pour la Sierra Leone (TSSL) 94(664) Histoire du Sierra Leone
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Résumé : |
Justice internationale, le droit universel existe-t-il ?
Un haut-le-coeur, un matin d’hiver, à Bagdad. L’homme qui pend au bout de la corde fut l’un des pires tyrans de cette planète. Il vient d’être condamné par un tribunal irakien et presque immédiatement exécuté. Mais ce ne fut pas justice. Ce procès, émaillé d’innombrables irrégularités de procédure, bafouant les droits de la défense, s’est déroulé dans un climat de quasi-guerre civile. Il n’a pas permis d’établir pour tous - particulièrement les sunnites - l’indiscutable culpabilité de l’accusé. Certes, il s’agissait d’un tribunal local ; mais la justice internationale n’est pas une institution, que l’on pourrait définir par l’identité multinationale de ses juges ou la déterritorialisation de ses procès. C’est d’abord une idée révolutionnaire : il existe au-dessus de la raison d’Etat une raison de l’humanité ; la souveraineté ne saurait continuer de justifier l’impunité des crimes commis en son nom.
C’est bien la référence à cette vision qui a conduit Saddam Hussein à devoir rendre des comptes. En tournant à la parodie, son procès a donc porté atteinte à l’idée même d’universalisme juridique. Et confirmé la réalité du soupçon qui pèse depuis l’origine sur cet idéal : n’être que le masque poli dont se pare désormais le droit des plus forts. La critique plane depuis l’origine, quand les vainqueurs jugèrent les hauts responsables nazis, en 1945, à Nuremberg. Le regain de la lutte contre l’impunité, depuis la fin de la guerre froide, ne l’a pas désamorcée.
Tirant les leçons de l’histoire, les tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ont certes été placés sous l’égide de l’ONU, et non d’une coalition de nations. Mais on n’échappe pas si facilement aux jeux de la puissance. Le TPIY, massivement soutenu par les Etats-Unis, ne s’est jamais totalement libéré des objectifs stratégiques de Washington. Et le TPIR a été victime de la fronde permanente du nouveau régime rwandais, qui entendait que seuls les crimes des autres fussent jugés, et y est parvenu. Pour l’instant.
Comment pourrait-il en être autrement ? La mise en oeuvre d’une justice sans frontières relève de la quadrature du cercle en l’absence de communauté démocratique mondiale. Et cela alors même que la grammaire des droits de l’homme s’impose de plus en plus aux Etats, sous l’influence de l’opinion publique... Deux principes d’ordre se font donc concurrence. Et la lutte contre l’impunité s’offre à tous les rapts, comme l’a rappelé le procès de Bagdad. Il nous faudra vivre encore longtemps dans cet inconfortable entre-deux. La toute nouvelle Cour pénale internationale (CPI) ne paraît guère pouvoir s’affranchir des contraintes des rapports de force entre Etats. Certes, étant permanente, elle est plus autonome : elle ne répondra pas seulement au désir de justice ponctuel des puissants. Mais, ne pouvant agir qu’à l’égard des ressortissants d’Etats signataires ou désignés à sa vindicte par le Conseil de sécurité - les plus faibles donc -, la CPI continue d’incarner une universalité entravée par les rapports de force.
Alors, abandonner « le faux espoir de la justice internationale », comme le suggérait Helena Cobban dans un récent numéro du magazine américain Foreign Policy ? Non. Malgré toutes les ambiguïtés du processus, il serait tragique de renoncer à un monde où l’impunité devient plus improbable. Loin de disqualifier l’urgence d’un espace judiciaire mondial, le procès de Saddam Hussein en a rappelé l’absolue nécessité : seule une juridiction internationale peut, pour les nations déchirées par les crimes extrêmes, assurer un minimum d’impartialité et de professionnalisme. Mais l’événement nous a aussi rappelé que cet idéal est propice à tous les détournements de sens. La société civile qui le soutient doit exercer à cet égard un double devoir de modestie et de vigilance.
Sandrine Tolotti
Sommaire :
- Quand la justice entrave la paix / S. Tolotti
En Ouganda, au nom de la paix, des victimes demandent à la CPI de ne pas intervenir, pour le moment dans la plus vieille guerre d'Afrique. Leur revendication contrecarre-t-elle les principes du droit international ? En apparence seulement.
- Ex-Yougoslavie : l’accusation de partialité / Jean-Arnault Dérens
Lorsqu'ils n'ont pas ralumé les brasiers nationalistes, les jugements en demi-teinte rendus par le Tribunal ont déçu les populations. les cours créées dans chaque pays de la régions feront-elles mieux ?
- Sierra Leone : les victimes demandent réparation / Aude-Sophie Rodella
Ce pays,d étruit après dix ans de guerre civile, à voulu conjuger justice pénale et justice réparatrice avec la mise sur pied d'une Commission vérité et réconciliation. Un bilan mitigé.
- Rwanda : la mauvaise réputation du tribunal / André-Michel Essoungou
Compétent pour juger les responsables du génocide - mais pas les éventuelles complicités de puissances étrangères - le Tribunal est confronté à l'hostilité du pouvoir à Kigali. Qui craint sa propre mise en cause.
- Cambodge : l’exigence d’un procès au pays / Christine Chaumeau
Méfiants vis-à -vis d'étrangers qui ont "soutenu" les Khmers rouges, les Cambodgiens ont exigé un procès local. Mais tous les criminels ne seront pas forcément jugés. Alors que victimes et bourreaux cohabitent
- "Nous ne sommes pas en présence d'un droit impérialiste" : interview de Joël Hubrecht
La Cour pénale internationale, créée en 1998, est souvent accusée de violer le principe de souveraineté des Etats. pourtant, elle s'inscrit dans un universalisme ouvert à la diversité des cultures. |
Permalink : |
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[article]
Titre : |
Le droit universel existe-t-il ? : justice internationale |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Sandrine Tolotti, Auteur ; Chloé Poizat, Illustrateur |
Année de publication : |
2007 |
Article en page(s) : |
pp. 48-59 |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
061.1:341 Cour Pénale International 172.4 Morale Ethique internationale / Paix / Pacifisme 32(676.1) Politique de l'Ouganda 341.4 Droit pénal international 341.485(596) Génocide cambodgien 347.9 Tribunal cambodgien (procès des Khmers rouges) 347.9(100) Tribunal Pénal International (TPI ONU) 347.9(100) Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY La Haye) 347.9(100) Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR Arusha) 347.9(100) Tribunal Spécial pour la Sierra Leone (TSSL) 94(664) Histoire du Sierra Leone
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Justice internationale, le droit universel existe-t-il ?
Un haut-le-coeur, un matin d’hiver, à Bagdad. L’homme qui pend au bout de la corde fut l’un des pires tyrans de cette planète. Il vient d’être condamné par un tribunal irakien et presque immédiatement exécuté. Mais ce ne fut pas justice. Ce procès, émaillé d’innombrables irrégularités de procédure, bafouant les droits de la défense, s’est déroulé dans un climat de quasi-guerre civile. Il n’a pas permis d’établir pour tous - particulièrement les sunnites - l’indiscutable culpabilité de l’accusé. Certes, il s’agissait d’un tribunal local ; mais la justice internationale n’est pas une institution, que l’on pourrait définir par l’identité multinationale de ses juges ou la déterritorialisation de ses procès. C’est d’abord une idée révolutionnaire : il existe au-dessus de la raison d’Etat une raison de l’humanité ; la souveraineté ne saurait continuer de justifier l’impunité des crimes commis en son nom.
C’est bien la référence à cette vision qui a conduit Saddam Hussein à devoir rendre des comptes. En tournant à la parodie, son procès a donc porté atteinte à l’idée même d’universalisme juridique. Et confirmé la réalité du soupçon qui pèse depuis l’origine sur cet idéal : n’être que le masque poli dont se pare désormais le droit des plus forts. La critique plane depuis l’origine, quand les vainqueurs jugèrent les hauts responsables nazis, en 1945, à Nuremberg. Le regain de la lutte contre l’impunité, depuis la fin de la guerre froide, ne l’a pas désamorcée.
Tirant les leçons de l’histoire, les tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ont certes été placés sous l’égide de l’ONU, et non d’une coalition de nations. Mais on n’échappe pas si facilement aux jeux de la puissance. Le TPIY, massivement soutenu par les Etats-Unis, ne s’est jamais totalement libéré des objectifs stratégiques de Washington. Et le TPIR a été victime de la fronde permanente du nouveau régime rwandais, qui entendait que seuls les crimes des autres fussent jugés, et y est parvenu. Pour l’instant.
Comment pourrait-il en être autrement ? La mise en oeuvre d’une justice sans frontières relève de la quadrature du cercle en l’absence de communauté démocratique mondiale. Et cela alors même que la grammaire des droits de l’homme s’impose de plus en plus aux Etats, sous l’influence de l’opinion publique... Deux principes d’ordre se font donc concurrence. Et la lutte contre l’impunité s’offre à tous les rapts, comme l’a rappelé le procès de Bagdad. Il nous faudra vivre encore longtemps dans cet inconfortable entre-deux. La toute nouvelle Cour pénale internationale (CPI) ne paraît guère pouvoir s’affranchir des contraintes des rapports de force entre Etats. Certes, étant permanente, elle est plus autonome : elle ne répondra pas seulement au désir de justice ponctuel des puissants. Mais, ne pouvant agir qu’à l’égard des ressortissants d’Etats signataires ou désignés à sa vindicte par le Conseil de sécurité - les plus faibles donc -, la CPI continue d’incarner une universalité entravée par les rapports de force.
Alors, abandonner « le faux espoir de la justice internationale », comme le suggérait Helena Cobban dans un récent numéro du magazine américain Foreign Policy ? Non. Malgré toutes les ambiguïtés du processus, il serait tragique de renoncer à un monde où l’impunité devient plus improbable. Loin de disqualifier l’urgence d’un espace judiciaire mondial, le procès de Saddam Hussein en a rappelé l’absolue nécessité : seule une juridiction internationale peut, pour les nations déchirées par les crimes extrêmes, assurer un minimum d’impartialité et de professionnalisme. Mais l’événement nous a aussi rappelé que cet idéal est propice à tous les détournements de sens. La société civile qui le soutient doit exercer à cet égard un double devoir de modestie et de vigilance.
Sandrine Tolotti
Sommaire :
- Quand la justice entrave la paix / S. Tolotti
En Ouganda, au nom de la paix, des victimes demandent à la CPI de ne pas intervenir, pour le moment dans la plus vieille guerre d'Afrique. Leur revendication contrecarre-t-elle les principes du droit international ? En apparence seulement.
- Ex-Yougoslavie : l’accusation de partialité / Jean-Arnault Dérens
Lorsqu'ils n'ont pas ralumé les brasiers nationalistes, les jugements en demi-teinte rendus par le Tribunal ont déçu les populations. les cours créées dans chaque pays de la régions feront-elles mieux ?
- Sierra Leone : les victimes demandent réparation / Aude-Sophie Rodella
Ce pays,d étruit après dix ans de guerre civile, à voulu conjuger justice pénale et justice réparatrice avec la mise sur pied d'une Commission vérité et réconciliation. Un bilan mitigé.
- Rwanda : la mauvaise réputation du tribunal / André-Michel Essoungou
Compétent pour juger les responsables du génocide - mais pas les éventuelles complicités de puissances étrangères - le Tribunal est confronté à l'hostilité du pouvoir à Kigali. Qui craint sa propre mise en cause.
- Cambodge : l’exigence d’un procès au pays / Christine Chaumeau
Méfiants vis-à -vis d'étrangers qui ont "soutenu" les Khmers rouges, les Cambodgiens ont exigé un procès local. Mais tous les criminels ne seront pas forcément jugés. Alors que victimes et bourreaux cohabitent
- "Nous ne sommes pas en présence d'un droit impérialiste" : interview de Joël Hubrecht
La Cour pénale internationale, créée en 1998, est souvent accusée de violer le principe de souveraineté des Etats. pourtant, elle s'inscrit dans un universalisme ouvert à la diversité des cultures. |
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in Alternatives internationales > 35 (juin 2007) . - pp. 48-59
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