[article] Du révisionnisme par omission : soir 28/02/05 [texte imprimé] / PIERRE MERTENS . - 2005 . - 105. Langues : Français ( fre) in Farde Articles 2005 > 1 (2005) . - 105
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327.2 Impérialisme occidental / Politique de l'Occident 37 Education Enseignement Loisirs 37:17 Travail de Mémoire 929 Dieudonné (1966-....)
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Résumé : |
Du révisionnisme par omission
UN ARTICLE DE Pierre Mertens | EDITION DU LUNDI 28 FéVRIER 2005
Ecrivain George Steiner, en visite récemment dans notre pays, a déclaré : « Là où la mémoire est dynamique, là où elle sert à une transmission psychologique et commune, l'héritage se transforme en présent. » Et, au terme du même propos, il observait avec un regret que seuls quelques niais jugeront réactionnaire : « L'éducation moderne ressemble de plus en plus à une amnésie institutionnalisée. » Les ministres qui, aujourd'hui, un jour sur deux (pair ou impair ?), envisageraient avec faveur la suppression de l'enseignement du latin dans les écoles, feraient bien de s'en souvenir. Mais ce sont parfois les mêmes qui, au coeur d'une conférence de presse, vous parlent d'un modus operandi ou d'une contradiction in terminis (sic). À croire qu'au moment de prononcer l'épitaphe, ils sont encore pris d'une étrange nostalgie... Où se parle donc la langue la plus morte : dans les lycées où l'on s'évertue à rappeler utilement le lieu d'où notre culture est issue, ou dans les officines du pouvoir - là où elle fut toujours de bois : ab ovo ? « Là où aujourd'hui on brûle des livres, demain on brûlera des hommes », disait le grand Heine, en 1821. Un bon siècle après, ce fut chose faite, sur une grande échelle, dans son propre pays. Et là où on dénonce, aujourd'hui, « l'élitisme », on ne prend pas garde à l'ignorance militante, l'analphabétisme arrogant. Nous nous révélons prêts à abandonner aux appétits voraces de tous les internets des générations de futurs illettrés, par avance fiers de l'être. Le drame de tout obscurantisme, c'est sa tendance funeste à faire des petits, à se célébrer, à s'idolâtrer. Après tout, ça ne vaudrait pas la peine d'être bête si on ne croyait bon de s'en glorifier ? Il n'y a pas de minces bénéfices. Et, pour sûr, cela plairait tellement à ce qu'on dénomme, avec un mépris considérable, « le bon peuple » ! Comme s'il n'avait pas droit à mieux qu'à ces accès de basse démagogie. Un qui doit en connaître un bout sur la question, c'est ce cher Dieudonné. Après ses premières professions de foi antisémites, il a crié au malentendu et qu'en tout cas, on ne l'y reprendrait pas. Et le voilà qui, évoquant le soixantième anniversaire de la libération d'Auschwitz, évoque ni plus ni moins qu'une « pornographie mémorielle » (c'est qu'il parle bien le monsieur. Du moins, il s'y efforce). En Algérie, de surcroît. Comme c'est courageux. Merci pour l'audience assurée. Le drame, avec les fascistes, c'est que leurs serments émanent de sombres ivrognes. Et qu'ils récidivent toujours. C'est plus fort qu'eux. Ils imaginent sans doute que cela leur tient lieu de talent. Et pendant ce temps-là , « silence, on tourne » ! Un film où les derniers jours de Hitler sont évoqués sans allusion superflue et encombrante à l'Holocauste. Une saga hagiographique à la gloire d'un président français débarrassé, jusqu'à un certain point, de sa jeunesse pétainiste, avec port prolongé de la francisque à la boutonnière, comme il se retrouve amnistié de son amitié avec un ignoble collabo, ou de la mise en scène d'un attentat bidon contre sa personne. Comme de certains silences à l'égard de la torture en Algérie ? Ou à une certaine « opération Turquoise » (jolie couleur) si complice de certains génocides en Afrique. Pauvres Tutsis, ayez le frisson : bientôt l'on affirmera que seule une ethnie rivale vous a fait la peau. Ce qu'on appelle, encore aujourd'hui, joliment, « la métropole » n'y fut, évidemment, pour rien. Il n'est pas jusqu'à certaines écoutes téléphoniques, dont le procès fut fait, ces dernières semaines, à titre hélas posthume, qui nous écoeurent définitivement. Lorsqu'on vit Mitterrand vainqueur, déposer une rose sur le torse de Jaurès au Panthéon et que l'on vit Mendès France verser une larme, on aurait pu se demander était-elle de joie, parce que la gauche passait enfin, ou de douleur parce qu'elle était échue à un homme qui n'en serait pas nécessairement digne ? Tiens ! Encore un film, d'un certain Scorsese, qui relate l'irrésistible ascension d'un magnat de l'aviation. Lui aussi antisémite. Mais là -dessus, pas un mot. Je dois avoir le cuir sensible, ou faire des fixations... Mais non : c'est plutôt l'Histoire qui est obsessionnelle. Et un certain cinéma qui se révèle amnésique. Ah ! tous ces silences abasourdissants ! Faudrait-il écrire, avec Alfred de Vigny, dans un poème fameux, que « seul le silence est grand » ? Je ne suis pas sûr (on dit, du reste, que l'auteur de ce pénible cliché était un flic de Napoléon III...). Bref : le blanchiment est à l'ordre du jour. On patauge dans une fameuse bouillabaisse de révisionnismes divers. Encore un effort, camarade cinéaste, et tu découvriras que Mobutu était une âme sensible ! Je te le recommande pour l'obtention d'un futur Oscar... Parlons donc de Monsieur Bush. Il nous a, paraît-il, rendu visite la semaine dernière. N'étaient ces tournoiements d'hélicoptères autour de mon immeuble et ces embarras de circulation, j'aurais très bien pu ne pas m'en rendre compte. Au regard des précautions prises pour accueillir le grand homme, et leurs aspects quasi barnusmesques, un eurocrate fameux aurait déclaré : « Si le ridicule tuait, les rues de Bruxelles seraient jonchées de cadavres ! » Soyons de bonne guerre (si l'on ose dire !) : à la limite, on ne sait pas très bien pourquoi il est venu, le grand clown blanc de la communauté internationale. Si ce n'est pour jouer à la réconciliation conjugale avec la vieille Europe, à cause de son engluement par une guerre déclenchée dans un tissu de mensonges... Le voici qui « comprend que l'Europe et lui n'aient pas été d'accord sur l'événement... » De qui se moque-t-il donc ? Le voilà qui proclame qu'il serait « ridicule » (le terme est donc à la mode) d'imaginer que l'Amérique ait l'intention de s'en prendre à un Iran détenteur de l'arme nucléaire. « Mais que, néanmoins, toutes les options sont sur la table... » Il doit vraiment nous prendre pour des idiots. Mais pourquoi s'en priverait-il ? Au lendemain de sa réélection, un célèbre correspondant de guerre local m'assurait : « Ne t'y trompe pas, il se pourrait que, conforté par son plébiscite, l'homme se révèle bien meilleur et plus à la hauteur des circonstances... » Eh bien, on a vu. On a vu un chef d'État impérialiste et belliciste, persister et signer. Accuser la Syrie, sans l'ombre d'une preuve (mais cette fois, avec l'approbation de la France), d'un crime commis au Liban. On joue avec la vérité, on sauve les apparences. Bush et Chirac nous déclarent, comme des enfants : « On disait qu'on était d'accord sur les mêmes valeurs... » Embrassons-nous, Folleville ! Pas un mot sur le protocole de Kyoto. Un désaccord approfondi sur l'embargo des armes à destination de la Chine. De vagues intentions au sujet de la Palestine... Record mondial du non-événement. Dernier ouvrage paru : « La violence et l'amnésie », éd. Labor, coll. « Quartier libre ». |
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Titre : |
Du révisionnisme par omission : soir 28/02/05 |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
PIERRE MERTENS |
Année de publication : |
2005 |
Article en page(s) : |
105 |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
327.2 Impérialisme occidental / Politique de l'Occident 37 Education Enseignement Loisirs 37:17 Travail de Mémoire 929 Dieudonné (1966-....)
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Résumé : |
Du révisionnisme par omission
UN ARTICLE DE Pierre Mertens | EDITION DU LUNDI 28 FéVRIER 2005
Ecrivain George Steiner, en visite récemment dans notre pays, a déclaré : « Là où la mémoire est dynamique, là où elle sert à une transmission psychologique et commune, l'héritage se transforme en présent. » Et, au terme du même propos, il observait avec un regret que seuls quelques niais jugeront réactionnaire : « L'éducation moderne ressemble de plus en plus à une amnésie institutionnalisée. » Les ministres qui, aujourd'hui, un jour sur deux (pair ou impair ?), envisageraient avec faveur la suppression de l'enseignement du latin dans les écoles, feraient bien de s'en souvenir. Mais ce sont parfois les mêmes qui, au coeur d'une conférence de presse, vous parlent d'un modus operandi ou d'une contradiction in terminis (sic). À croire qu'au moment de prononcer l'épitaphe, ils sont encore pris d'une étrange nostalgie... Où se parle donc la langue la plus morte : dans les lycées où l'on s'évertue à rappeler utilement le lieu d'où notre culture est issue, ou dans les officines du pouvoir - là où elle fut toujours de bois : ab ovo ? « Là où aujourd'hui on brûle des livres, demain on brûlera des hommes », disait le grand Heine, en 1821. Un bon siècle après, ce fut chose faite, sur une grande échelle, dans son propre pays. Et là où on dénonce, aujourd'hui, « l'élitisme », on ne prend pas garde à l'ignorance militante, l'analphabétisme arrogant. Nous nous révélons prêts à abandonner aux appétits voraces de tous les internets des générations de futurs illettrés, par avance fiers de l'être. Le drame de tout obscurantisme, c'est sa tendance funeste à faire des petits, à se célébrer, à s'idolâtrer. Après tout, ça ne vaudrait pas la peine d'être bête si on ne croyait bon de s'en glorifier ? Il n'y a pas de minces bénéfices. Et, pour sûr, cela plairait tellement à ce qu'on dénomme, avec un mépris considérable, « le bon peuple » ! Comme s'il n'avait pas droit à mieux qu'à ces accès de basse démagogie. Un qui doit en connaître un bout sur la question, c'est ce cher Dieudonné. Après ses premières professions de foi antisémites, il a crié au malentendu et qu'en tout cas, on ne l'y reprendrait pas. Et le voilà qui, évoquant le soixantième anniversaire de la libération d'Auschwitz, évoque ni plus ni moins qu'une « pornographie mémorielle » (c'est qu'il parle bien le monsieur. Du moins, il s'y efforce). En Algérie, de surcroît. Comme c'est courageux. Merci pour l'audience assurée. Le drame, avec les fascistes, c'est que leurs serments émanent de sombres ivrognes. Et qu'ils récidivent toujours. C'est plus fort qu'eux. Ils imaginent sans doute que cela leur tient lieu de talent. Et pendant ce temps-là , « silence, on tourne » ! Un film où les derniers jours de Hitler sont évoqués sans allusion superflue et encombrante à l'Holocauste. Une saga hagiographique à la gloire d'un président français débarrassé, jusqu'à un certain point, de sa jeunesse pétainiste, avec port prolongé de la francisque à la boutonnière, comme il se retrouve amnistié de son amitié avec un ignoble collabo, ou de la mise en scène d'un attentat bidon contre sa personne. Comme de certains silences à l'égard de la torture en Algérie ? Ou à une certaine « opération Turquoise » (jolie couleur) si complice de certains génocides en Afrique. Pauvres Tutsis, ayez le frisson : bientôt l'on affirmera que seule une ethnie rivale vous a fait la peau. Ce qu'on appelle, encore aujourd'hui, joliment, « la métropole » n'y fut, évidemment, pour rien. Il n'est pas jusqu'à certaines écoutes téléphoniques, dont le procès fut fait, ces dernières semaines, à titre hélas posthume, qui nous écoeurent définitivement. Lorsqu'on vit Mitterrand vainqueur, déposer une rose sur le torse de Jaurès au Panthéon et que l'on vit Mendès France verser une larme, on aurait pu se demander était-elle de joie, parce que la gauche passait enfin, ou de douleur parce qu'elle était échue à un homme qui n'en serait pas nécessairement digne ? Tiens ! Encore un film, d'un certain Scorsese, qui relate l'irrésistible ascension d'un magnat de l'aviation. Lui aussi antisémite. Mais là -dessus, pas un mot. Je dois avoir le cuir sensible, ou faire des fixations... Mais non : c'est plutôt l'Histoire qui est obsessionnelle. Et un certain cinéma qui se révèle amnésique. Ah ! tous ces silences abasourdissants ! Faudrait-il écrire, avec Alfred de Vigny, dans un poème fameux, que « seul le silence est grand » ? Je ne suis pas sûr (on dit, du reste, que l'auteur de ce pénible cliché était un flic de Napoléon III...). Bref : le blanchiment est à l'ordre du jour. On patauge dans une fameuse bouillabaisse de révisionnismes divers. Encore un effort, camarade cinéaste, et tu découvriras que Mobutu était une âme sensible ! Je te le recommande pour l'obtention d'un futur Oscar... Parlons donc de Monsieur Bush. Il nous a, paraît-il, rendu visite la semaine dernière. N'étaient ces tournoiements d'hélicoptères autour de mon immeuble et ces embarras de circulation, j'aurais très bien pu ne pas m'en rendre compte. Au regard des précautions prises pour accueillir le grand homme, et leurs aspects quasi barnusmesques, un eurocrate fameux aurait déclaré : « Si le ridicule tuait, les rues de Bruxelles seraient jonchées de cadavres ! » Soyons de bonne guerre (si l'on ose dire !) : à la limite, on ne sait pas très bien pourquoi il est venu, le grand clown blanc de la communauté internationale. Si ce n'est pour jouer à la réconciliation conjugale avec la vieille Europe, à cause de son engluement par une guerre déclenchée dans un tissu de mensonges... Le voici qui « comprend que l'Europe et lui n'aient pas été d'accord sur l'événement... » De qui se moque-t-il donc ? Le voilà qui proclame qu'il serait « ridicule » (le terme est donc à la mode) d'imaginer que l'Amérique ait l'intention de s'en prendre à un Iran détenteur de l'arme nucléaire. « Mais que, néanmoins, toutes les options sont sur la table... » Il doit vraiment nous prendre pour des idiots. Mais pourquoi s'en priverait-il ? Au lendemain de sa réélection, un célèbre correspondant de guerre local m'assurait : « Ne t'y trompe pas, il se pourrait que, conforté par son plébiscite, l'homme se révèle bien meilleur et plus à la hauteur des circonstances... » Eh bien, on a vu. On a vu un chef d'État impérialiste et belliciste, persister et signer. Accuser la Syrie, sans l'ombre d'une preuve (mais cette fois, avec l'approbation de la France), d'un crime commis au Liban. On joue avec la vérité, on sauve les apparences. Bush et Chirac nous déclarent, comme des enfants : « On disait qu'on était d'accord sur les mêmes valeurs... » Embrassons-nous, Folleville ! Pas un mot sur le protocole de Kyoto. Un désaccord approfondi sur l'embargo des armes à destination de la Chine. De vagues intentions au sujet de la Palestine... Record mondial du non-événement. Dernier ouvrage paru : « La violence et l'amnésie », éd. Labor, coll. « Quartier libre ». |
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