[article] “Ni la maladie ni les souffrances physiques n’ont de justification morale” [texte imprimé] / Ruwen Ogien (1949?-2017), Personne interviewée ; Cédric Enjalbert, Intervieweur . - 2017 . - p. 68-73. Langues : Français ( fre) in Philosophie magazine > 106 (février 2017) . - p. 68-73
Catégories : |
17 Morale Ethique Philosophie pratique Valeurs
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Résumé : |
Les concepts boursouflés, très peu pour lui. Ruwen Ogien, philosophe libertaire spécialiste d’éthique, est de ceux qui ne goûtent guère le poids des traditions et la morale mal placée. Dans son dernier livre, très personnel, il dégonfle sans se payer de mots une certaine idée de la maladie. Ah ! de l’air !
« Avons-nous une sorte de deadline ? » m’a écrit Ruwen Ogien, alors que nous préparions cet entretien, avec cette autodérision qui ne le quitte jamais. Le philosophe souffre, selon les médecins, d’un « adénocarcinome canalaire pancréatique ». En clair, un cancer du pancréas, une maladie de longue durée, « à perpétuité » comme il dit, pas de celles dont on peut espérer guérir. Mais ce bienveillant spécialiste des questions morales, partisan d’une éthique dénuée d’obligations envers soi-même, toute contenue dans un principe minimal bien qu’infiniment ambitieux – ne pas nuire intentionnellement à autrui –, n’est pas du genre à désespérer. Lui qui se méfie des grands mots métaphysiques – l’amour, la dignité –, joyeux démolisseur du « culte de l’ineffable », de « la philosophie morale à la française », soit « un certain style d’écriture philosophique qu’il est permis de ne pas apprécier : le “ressassement” ou la répétition plus ou moins masquée par une surenchère d’hyperboles et d’injonctions pathétiques », a fourbi ses armes conceptuelles. Tout prêt à en découdre avec les poncifs qui entourent la maladie et qui attribuent au malade un « rôle », sinon un statut – « déchet social » –, il est allé décrocher quelques vieilles lunes, comme à son habitude. Parmi elles, cette baudruche nietzschéenne : ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Pour le philosophe, ce cliché dont Johnny Hallyday a fait une chanson n’est pas seulement faux, il véhicule une idée réactionnaire. Cette idée a un nom : le dolorisme, qui, sous couvert de chercher d’hypothétiques vertus positives à la souffrance, participe en fait d’un courant de pensée conservateur regrettant la perte de « l’esprit de sacrifice ». Cet esprit-là, Ruwen Ogien ne l’a jamais eu. Mieux, il s’attache à le combattre de livre en livre, définitivement progressiste.
Dans le dernier, renversant d’érudition, d’esprit et de style, il rassemble les différentes facettes de « la maladie comme drame et comme comédie ». Le philosophe brosse un aperçu, autobiographique comme jamais, de ses Mille et une nuits de patient, durant lesquelles il s’attache à « faire durer le suspense comme Shéhérazade ». Après des semaines d’échanges amicaux, entrecoupés par de « fichues journées de torture » médicale, Ruwen Ogien a répondu à ces questions sur le fil, à l’approche de notre deadline éditoriale, à la façon d’un « Phileas Fogg bouclant son tour du monde en quatre-vingts jours à la seconde près », avec le sang-froid, la méthode et l’humour du gentleman et la promesse d’un voyage (philosophique) extraordinaire.
[Actualisation : Ruwen Ogien est mort le 4 mai 2017] |
Permalink : |
https://bibliotheque.territoires-memoire.be/pmb/opac_css/index.php?lvl=notice_di |
[article]
Titre : |
“Ni la maladie ni les souffrances physiques n’ont de justification morale” |
Type de document : |
texte imprimé |
Auteurs : |
Ruwen Ogien (1949?-2017), Personne interviewée ; Cédric Enjalbert, Intervieweur |
Année de publication : |
2017 |
Article en page(s) : |
p. 68-73 |
Langues : |
Français (fre) |
Catégories : |
17 Morale Ethique Philosophie pratique Valeurs
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Résumé : |
Les concepts boursouflés, très peu pour lui. Ruwen Ogien, philosophe libertaire spécialiste d’éthique, est de ceux qui ne goûtent guère le poids des traditions et la morale mal placée. Dans son dernier livre, très personnel, il dégonfle sans se payer de mots une certaine idée de la maladie. Ah ! de l’air !
« Avons-nous une sorte de deadline ? » m’a écrit Ruwen Ogien, alors que nous préparions cet entretien, avec cette autodérision qui ne le quitte jamais. Le philosophe souffre, selon les médecins, d’un « adénocarcinome canalaire pancréatique ». En clair, un cancer du pancréas, une maladie de longue durée, « à perpétuité » comme il dit, pas de celles dont on peut espérer guérir. Mais ce bienveillant spécialiste des questions morales, partisan d’une éthique dénuée d’obligations envers soi-même, toute contenue dans un principe minimal bien qu’infiniment ambitieux – ne pas nuire intentionnellement à autrui –, n’est pas du genre à désespérer. Lui qui se méfie des grands mots métaphysiques – l’amour, la dignité –, joyeux démolisseur du « culte de l’ineffable », de « la philosophie morale à la française », soit « un certain style d’écriture philosophique qu’il est permis de ne pas apprécier : le “ressassement” ou la répétition plus ou moins masquée par une surenchère d’hyperboles et d’injonctions pathétiques », a fourbi ses armes conceptuelles. Tout prêt à en découdre avec les poncifs qui entourent la maladie et qui attribuent au malade un « rôle », sinon un statut – « déchet social » –, il est allé décrocher quelques vieilles lunes, comme à son habitude. Parmi elles, cette baudruche nietzschéenne : ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Pour le philosophe, ce cliché dont Johnny Hallyday a fait une chanson n’est pas seulement faux, il véhicule une idée réactionnaire. Cette idée a un nom : le dolorisme, qui, sous couvert de chercher d’hypothétiques vertus positives à la souffrance, participe en fait d’un courant de pensée conservateur regrettant la perte de « l’esprit de sacrifice ». Cet esprit-là, Ruwen Ogien ne l’a jamais eu. Mieux, il s’attache à le combattre de livre en livre, définitivement progressiste.
Dans le dernier, renversant d’érudition, d’esprit et de style, il rassemble les différentes facettes de « la maladie comme drame et comme comédie ». Le philosophe brosse un aperçu, autobiographique comme jamais, de ses Mille et une nuits de patient, durant lesquelles il s’attache à « faire durer le suspense comme Shéhérazade ». Après des semaines d’échanges amicaux, entrecoupés par de « fichues journées de torture » médicale, Ruwen Ogien a répondu à ces questions sur le fil, à l’approche de notre deadline éditoriale, à la façon d’un « Phileas Fogg bouclant son tour du monde en quatre-vingts jours à la seconde près », avec le sang-froid, la méthode et l’humour du gentleman et la promesse d’un voyage (philosophique) extraordinaire.
[Actualisation : Ruwen Ogien est mort le 4 mai 2017] |
Permalink : |
https://bibliotheque.territoires-memoire.be/pmb/opac_css/index.php?lvl=notice_di |
in Philosophie magazine > 106 (février 2017) . - p. 68-73
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